A... comme angoisse

 

Absurde

L’acte absurde est l’expression la plus haute de la liberté. (Le livre des leurres)

Admiration

Seules deux catégories d’hommes suscitent mon admiration : ceux qui peuvent devenir fous et ceux qui sont, à chaque instant, capables de se suicider. Il n’y a que ceux-là pour m’impressionner, car eux seuls éprouvent de grandes passions et connaissent de grandes transfigurations. (Sur les cimes du désespoir)

Tout se lie : sans naïveté, sans piété, point de capacité d’admirer, de considérer les êtres en eux-mêmes, dans leur réalité originelle et unique, en dehors de leurs accidents temporels ; l’admiration, agenouillement intérieur qui n’implique ni humiliation ni sentiment d’impuissance, est la prérogative et le salut des purs, de ceux précisément qui ne hantent pas les salons. (Écartèlement)

Affranchissement

Le degré de notre affranchissement se mesure à la quantité d’entreprises dont nous nous serons émancipés, comme à notre capacité de convertir tout objet en non-objet. (La tentation d’exister)

Agonie

L’art de mourir ne s’apprend pas, car il ne comporte aucune règle, aucune technique, aucune norme. L’individu ressent dans son être même le caractère irrémédiable de l’agonie, au milieu de souffrances et de tensions sans limites. La plupart des gens n’ont pas conscience de la lente agonie qui se produit en eux ; ils ne connaissent que celle qui précède le passage définitif vers le néant. Seule cette agonie dernière présente, pensent-ils, d’importantes révélations sur l’existence. Au lieu de saisir la signification d’une agonie lente et révélatrice, ils espèrent tout de la fin. Mais la fin ne leur révélera pas grand-chose : ils s’éteindront tout aussi perplexes qu’ils auront vécu. (Sur les cimes du désespoir)

Ailleurs

L’obsession de l’ailleurs c’est l’impossibilité de l’instant ; et cette impossibilité est la nostalgie même. (Précis de décomposition)

Aimer

Aimer son prochain est chose inconcevable. Est-ce qu’on demande à un virus d’aimer un autre virus ? (Aveux et anathèmes)

L’art d’aimer ? C’est savoir joindre à un tempérament de vampire la discrétion d’une anémone. (Syllogismes de l’amertume)

Amant

Commencer en poète et finir en gynécologue ! De toutes les conditions, la moins enviable est celle d’amant. (Syllogismes de l’amertume)

Ambition

L’ambition est une drogue qui fait de celui qui s’y adonne un dément en puissance. (Histoire et utopie)

Âme

Aujourd'hui, qui se soucie d’elle ? On ne la mentionne que par inadvertance ; sa place est dans les chansons : la mélodie seule parvient à la rendre supportable, à en faire oublier la vétusté. (La tentation d’exister)

Amor fati

Amor fati, formule pour amateurs d’héroïsme, ne convient pas à ceux qui ont trop de destin pour s’accrocher encore à l’idée de destin. (La tentation d’exister)

Amour

J’ai le plus grand mépris pour ceux qui raillent le suicide par amour, car ils sont incapables de comprendre qu’un amour irréalisable représente, pour l’amant, une impossibilité de se définir, une perte intégrale de son être. Un amour total, inassouvi, ne peut mener qu’à l’effondrement. (Sur les cimes du désespoir)

Si l'amour n'était pas ce mélange insoluble de crime prémédité et d'infinie délicatesse, comme il serait aisé de le réduire à une parole ! Mais les souffrances de l'amour dépassent les tragédies de Job... L'érotisme est une lèpre éthérée. (Le crépuscule des pensées)

L’amour est une noyade, une plongée dans l’être et le non-être ; car la volupté est un accomplissement et une extinction. Ce n’est qu’en aimant qu’on peut soupçonner que l’autodestruction se trouve au fondement de la fécondité. (Le crépuscule des pensées)

L’amour n’a pas de place dans la vie : c'est pour cela que le parfum des femmes a l’odeur de mort des couronnes de cimetière. (Le crépuscule des pensées)

Rien ne sert moins la nature que l’amour. Quand la femme ferme les yeux, nos regards glissent sur ses paupières à la recherche d’autres firmaments. (Le crépuscule des pensées)

Un amour qui s’en va est une si riche épreuve philosophique que, d’un coiffeur, elle fait un émule de Socrate. (Syllogismes de l’amertume)

Vitalité de l’Amour : on ne saurait médire sans injustice d’un sentiment qui a survécu au romantisme et au bidet. (Syllogismes de l’amertume)

Angoisse

L’Angoisse était déjà un produit courant au temps des cavernes. On se figure le sourire de l’homme de Néanderthal, s’il eût prévu que des philosophes viendraient un jour en réclamer la paternité. (Syllogismes de l’amertume)

Animal

L’animal le plus immonde vit, en un certain sens mieux que nous. Sans aller chercher dans les égouts la recette de la sagesse, comment ne pas reconnaître les avantages qu’a sur nous un rat, justement parce qu’il est rat et rien d’autre ? (La chute dans le temps)

Apatride

Je suis un apatride métaphysique, un peu comme ces stoïciens de la fin de l’Empire romain qui se sentaient « citoyens du monde », ce qui est une façon de dire qu’ils n’étaient citoyens de nulle part. (Entretiens)

Aphorisme

L’aphorisme ? Du feu sans flamme. On comprend que personne ne veuille s’y réchauffer. (De l’inconvénient d’être né)

S’il est un instant où l’on devrait pouffer de rire, c'est lorsque, sous l’effet d’un intolérable malaise nocturne, on se lève sans savoir si on rédigera ses dernières volontés ou si l’on se bornera à quelque misérable aphorisme. (Écartèlement)

Plus encore que dans le poème, c'est dans l’aphorisme que le mot est dieu. (Écartèlement)

Écrire des aphorismes est très simple : vous allez dans les dîners, une dame dit une bêtise, ça vous inspire une réflexion, vous rentrez à la maison, vous l’écrivez. C'est à peu près ça, le mécanisme. Ou bien, en pleine nuit, on a une inspiration, un début de formule, à trois heures du matin, on écrit cette formule. Et finalement, ça devient un livre. Ce n’est pas sérieux. (Entretiens)

On lance un aphorisme comme on lance une gifle. (Entretiens)

Dans l’aphorisme, je laisse tout tomber et je ne donne que la conclusion, comme au tribunal, où il n’y a à la fin que le verdict : condamné à mort. Sans le déroulement de la pensée, simplement le résultat. (Entretiens)

Apparences

Plonger le monde dans un nirvana esthétique : atteindre le suprême dans de suprêmes apparences. Être tout et rien dans l’écume de l’instant. Et se dresser au bord du moi, dans l’immédiateté et la fugacité. (Bréviaire des vaincus)

L’idéal serait de perdre, sans en souffrir, le goût des êtres et des choses. Chaque jour, il nous faudrait honorer quelque créature ou objet, en y renonçant. Nous arriverions ainsi, en faisant le tour des apparences, et en les congédiant, l’une après l’autre, au perpétuel désistement, au secret même de la joie. (Des larmes et des saints)

Artiste

Chaque artiste véritable est traître à ses prédécesseurs. (Précis de décomposition)

C'est l’individu qui fait l’art, ce n’est plus l’art qui fait l’individu, comme ce n’est plus l’œuvre qui compte mais le commentaire qui la précède ou lui succède. Et ce qu’un artiste produit de meilleur, ce sont ses idées sur ce qu’il aurait pu accomplir. Il est devenu son propre critique, comme le vulgaire son propre psychologue. (La tentation d’exister)

Ascendance

Chacun a le droit de s’attribuer l’ascendance qui lui convient, et qui l’explique à ses propres yeux. Que de fois n’ai-je pas changé d’ancêtres ! (Écartèlement)

Athéisme

Pendant des siècles, des esprits se sont battus et ont risqué leur vie pour se libérer de Dieu. Et nous, au milieu du XXe siècle, nous regrettons les chaînes qu'Il représentait et ne savons que faire d'une liberté pour laquelle nous n'avons fait aucun sacrifice, que nous n'avons pas conquise. Nous sommes les héritiers ingrats de l'athéisme héroïque, les épigones de la révolte, une masse de rebelles qui déplorent secrètement la disparition des "superstitions", des "préjugés" et des anciennes "terreurs". (Carnets 1957-1972)

Aube

La lumière de l’aube est la vraie lumière, la lumière primordiale. Chaque fois que je la contemple, je bénis mes mauvaises nuits qui m’offrent l’occasion d’assister au spectacle du Commencement. (Aveux et anathèmes)

Au-delà

Il n’est qu’un esprit lézardé pour avoir des ouvertures sur l’au-delà. (Syllogismes de l’amertume)

Automne

Les dernières feuilles tombent en dansant. Il faut une grande dose d’insensibilité pour faire face à l’automne. (Aveux et anathèmes)

Autorité

Toutes les autorités ont leur Bastille : plus une institution est puissante, moins elle est humaine. (Précis de décomposition)

Autres

Assiégé par les autres, j’essaie de m’en dégager, sans grand succès, il faut bien le dire. Je parviens néanmoins à me ménager chaque jour quelques secondes d’entretien avec celui que j’aurais voulu être. (De l’inconvénient d’être né)

Avenir

N’ont point d’avenir ceux qui vivent dans l’idolâtrerie du lendemain. (La chute dans le temps)

Aventure humaine

Je crois que le destin de l’homme est, comme celui de Rimbaud, fulgurant, c'est-à-dire bref. Les espèces animales auraient duré des millions d’années, si l’homme n’en avaient pas fini avec elles, mais l’aventure humaine ne peut être indéfinie. L’homme a donné le meilleur de lui-même. Nous sentons que les grandes civilisations sont derrière nous. (Entretiens)

L’homme me paraît comparable aujourd'hui à un écrivain qui n’a plus rien à dire, à un peintre qui n’a plus rien à peindre, qui ne trouve plus d’intérêt à rien. Son esprit n’est pas encore épuisé mais lui est tout près de perdre entièrement ses forces. Il est bien encore producteur de réalité, il peut bien entendu produire des outils, mêmes encore quelques chefs-d’œuvre, mais il est spirituellement à bout de forces. (Entretiens)