E... comme élégance

 

Eau(x)

Toutes les eaux sont couleur de noyade. (Syllogismes de l’amertume)

Échec

Ce n’est pas la peur d’entreprendre, c'est la peur de réussir, qui explique plus d’un échec. (De l’inconvénient d’être né)

Nous ne sommes nous-mêmes que la somme de nos échecs. (Précis de décomposition)

L’échec est une expérience philosophique capitale et féconde. (Entretiens)

On reconnaît à ceci celui qui a des dispositions pour la quête intérieure : il mettra au-dessus de n’importe quelle réussite l’échec, il le cherchera même, inconsciemment s’entend ; c'est que l’échec, toujours essentiel, nous dévoile à nous-mêmes, il nous permet de nous voir comme Dieu nous voit, alors que le succès nous éloigne de ce qu’il y a de plus intime en nous et en tout. (Syllogismes de l’amertume)

Écrire

On n’écrit pas parce qu’on a quelque chose à dire mais parce qu’on a envie de dire quelque chose. (Écartèlement)

Je n’ai envie d’écrire que dans un état explosif, dans la fièvre ou la crispation, dans une stupeur muée en frénésie, dans un climat de règlements de comptes où les invectives remplacent les gifles et les coups. [...] Je n’ai pas écrit une seule ligne à température normale. (Exercices d’admiration)

Écrire est une provocation, une vue heureusement fausse de la réalité qui nous place au-dessus de ce qui est et de ce qui semble être. (Exercices d’admiration)

Écrire, c'est se défaire de ses remords et de ses rancunes, c'est vomir ses secrets. (Exercices d’admiration)

Écrire est un vice dont on ne peut se lasser. (Exercices d’admiration)

Écriture

Il est des expériences auxquelles on ne peut survivre. Des expériences à l’issue desquelles on sent que plus rien ne saurait avoir un sens. Après avoir atteint les limites de la vie, après avoir vécu avec exaspération tout le potentiel de ces dangereux confins, les actes et les gestes quotidiens perdent tout charme, toute séduction. Si l’on continue cependant à vivre, ce n’est que par la grâce de l’écriture, qui, en l’objectivant, soulage cette tension sans bornes. La création est une préservation temporaire des griffes de la mort. (Sur les cimes du désespoir)

Dans la vie de l’esprit, il arrive un moment où l’écriture, s’érigeant en principe autonome, devient destin. C'est alors que le Verbe, tant dans les spéculations philosophiques que dans les productions littéraires, dévoile et sa vigueur et son néant. (La tentation d’exister)

L’écriture est la revanche de la créature et sa réponse à une Création manquée. (Exercices d’admiration)

Écrivain

Concurrencer Dieu, le dépasser même par la seule vertu du langage, tel est l’exploit de l’écrivain, spécimen ambigu, déchiré et infatué qui, sorti de sa condition naturelle, s’est livré à un vertige superbe, déconcertant toujours, quelquefois odieux. (Exercices d’admiration)

L’écrivain est un détraqué qui use de ces fictions que sont les mots pour se guérir. (Exercices d’admiration)

Élan

La plupart de nos déboires nous viennent de nos premiers mouvements. Le moindre élan se paye plus cher qu’un crime. (De l’inconvénient d’être né)

Élégance

La véritable élégance morale consiste dans l’art de déguiser ses victoires en défaites. (Écartèlement)

Élu

Aller jusqu’aux extrémités de son art et, plus encore, de son être, telle est la loi de quiconque s’estime tant soit peu élu. (De l’inconvénient d’être né)

Empereurs romains

Les empereurs romains de la décadence, monstres inspirés par le génie de l’ennui, révélèrent tant de style dans la folie que, en comparaison, tous les esthètes du monde sont des pitres de foire et les poètes des montreurs d’ombres. (Bréviaire des vaincus)

Empires

Un peuple établi est un peuple perdu, tout comme l’est un homme assagi. Les gens de sac et de corde, les vauriens, les scélérats agressifs battissent les empires ; les députés, les idéologies et les principes les gouvernent et les ruinent. (Bréviaire des vaincus)

Qui aide à la formation d’un empire ? Les aventuriers, les brutes, les fripouilles, tous ceux qui n’ont pas le préjugé de « l’homme. » (La tentation d’exister)

Enfer

Nous sommes tous au fond d’un enfer dont chaque instant est un miracle. (Le mauvais démiurge)

L’enfer est le lieu où nous sommes condamnés au temps pour l’éternité. (La chute dans le temps)

Enlisement

Il est réconfortant de pouvoir se dire : Ma vie correspond trait pour trait au genre d’enlisement* que je me souhaitais. (Écartèlement)

*Comment ne pas penser au monologue des Beaux jours de Beckett à la lecture de cet aphorisme ?

Ennemis

On cesse d’être jeune au moment où on ne choisit plus ses ennemis, où l’on se contente de ceux qu’on a sous la main. (Syllogismes de l’amertume)

Ennui

Le seul argument contre l’immortalité, c'est l’ennui. De là viennent toutes nos négations. (Des larmes et des saints)

L’ennui se fait musique au bord de la mer, et extase sur le sommet des montagnes. (Le crépuscule des pensées)

L’ennui est l’écho en nous du temps qui se déchire, la révélation du vide, le tarissement de ce délire qui soutient – ou invente – la vie. (Précis de décomposition)

L’ennui nous révèle une éternité qui n’est pas le dépassement du temps, mais sa ruine ; il est l’infini des âmes pourries faute de superstitions : un absolu plat où rien n’empêche plus les choses de tourner en rond à la recherche de leur propre chute. La vie se crée dans le délire et se défait dans l’ennui. (Précis de décomposition)

S’ennuyer, c’est chiquer du temps. (Syllogismes de l’amertume)

À cet ami qui me dit s’ennuyer parce qu’il ne peut pas travailler, je réponds que l’ennui est un état supérieur, et que c'est le rabaisser que de le mettre en rapport avec l’idée de travail. (Écartèlement)

L’ennui est un vertige, mais un vertige tranquille, monotone ; c'est la révélation de l’insignifiance universelle, c'est la certitude, portée jusqu’à la stupeur ou jusqu’à la clairvoyance suprême, que l’on ne peut, que l’on ne doit rien faire en ce monde ni dans l’autre, que rien n’existe au monde qui puisse nous convenir ou nous satisfaire. (Entretiens)

Ennuyeux

Un homme ennuyeux est un homme incapable de s’ennuyer. (Le crépuscule des pensées)

Épicure

De tous les Anciens, c'est peut-être Épicure qui a su le mieux mépriser la foule. Un motif de plus de le célébrer. (Aveux et anathèmes)

Épicurisme

Un Ancien disait de la doctrine d’Épicure avait la « douceur des sirènes ». Ce serait peine perdue que de chercher le système moderne qui mériterait un tel éloge. (Écartèlement)

Entre l’épicurisme et le stoïcisme, pour lequel opter ? Je passe de l’un à l’autre, et, le plus souvent, je suis fidèle aux deux à la fois – ce qui est ma manière d’épouser les maximes qu’affectionna l’Antiquité avant le déferlement des dogmes. (Aveux et anathèmes)

Éradication

Mieux vaut détruire la vie par les racines que recueillir plus tard la sève de racines pourries. (Le livre des leurres)

Esclave

On est et on demeure esclave aussi longtemps que l’on n’est pas guéri de la manie d’espérer. (Écartèlement)

Espagne

L’âme de l’Espagne s’est volontairement cadenassée dans le catholicisme. Aura-elle eu peur de rester face à face avec le soleil ? Aurait-elle eu peur de fondre au soleil ? (Bréviaire des vaincus)

Le catholicisme n’a créé l’Espagne que pour mieux l’étouffer. C’est un pays où l’on voyage pour admirer l’Eglise et pour deviner le plaisir qu’il peut y avoir à assassiner un curé. (Syllogismes de l’amertume)

Toute sainteté est plus ou moins espagnole : si Dieu était cyclope, l’Espagne lui servirait d’œil. (Précis de décomposition)

Espagnol

Tour à tour, j’ai adoré et exécré nombre de peuples – jamais il ne vint à l’esprit de renier l’Espagnol que j’eusse aimé être. (Syllogismes de l’amertume)

Espoir(s)

Se déshonore quiconque meurt escorté des espoirs qui l’ont fait vivre. (La tentation d’exister)

L’espoir est une vertu d’esclave. (Précis de décomposition)

Esprit

La réalité du corps est l’une des plus effroyables qui soient. Je voudrais bien savoir ce que serait l’esprit sans les tourments de la chair, ou la conscience sans une grande sensibilité des nerfs. Comment peut-on concevoir la vie en l’absence du corps, comment peut-on envisager une existence autonome et originelle de l’esprit ? Car l’esprit est le fruit d’un détraquement de la vie, de même que l’homme n’est qu’un animal qui a trahi ses origines. (Sur les cimes du désespoir)

L’esprit comme tel est inapte à produire ; il projette mais, pour exécuter ses projets, il faut qu’une énergie impure vienne le mettre en branle. C'est lui, et non la chair, qui est faible, et il ne devient fort que stimulé par une soif suspecte, par quelque impulsion condamnable. (La chute dans le temps)

Éternel présent

Quand on dénombrerait tous les maux dont souffre la chair et l’esprit, ils ne seraient encore rien auprès de celui qui vient de l’inaptitude à nous accorder à l’éternel présent, ou à lui voler, pour en jouir, ne fût-ce que d’une parcelle. (Histoire et utopie)

Éternité

Toute expérience de l’éternité suppose un saut et une transfiguration, car bien peu sont capables de la tension nécessaire pour atteindre cette paix sereine qu’on retrouve dans la contemplation de l’éternel. Ce n’est pas la durée, mais la puissance de cette contemplation qui importe. Le retour aux vécus habituels ne diminue en rien la fécondité de cette expérience essentielle. La fréquence de la contemplation est essentielle : seule la répétition permet d’atteindre l’ivresse de l’éternité, où les voluptés ont quelque chose de supra-terrestre, une transcendance rayonnante. (Sur les cimes du désespoir)

Tout est permis à l’individu doué de la conscience de l’éternité, car, pour lui, les différenciations se fondent dans une image d’une monumentale sérénité, qui semble le résultat d’une grande renonciation. On n’aime pas l’éternité de la passion qu’on éprouve pour une femme ou pour son désespoir ; mais le penchant qu’on a pour les régions de l’éternité attire comme un élan vers la paix d’une lumière stellaire. (Sur les cimes du désespoir)

L'éternité est la serre où Dieu se fane depuis les commencements, et l'homme, de temps en temps, par la pensée. (Le crépuscule des pensées)

Étoile (mauvaise)

Chacun s’agrippe comme il peut à sa mauvaise étoile. (Aveux et anathèmes)

Étranger (à ce monde)

Le sentiment d’avoir dix mille ans de retard, ou d’avance, sur les autres, d’appartenir aux débuts ou à la fin de l’humanité. (De l’inconvénient d’être né)

J’essaie de m’arracher à tout, de m’élever en me déracinant ; pour devenir futiles, nous devons couper nos racines, devenir métaphysiquement étrangers. (La tentation d’exister)

Être

Être à chaque instant à la limite de son être. (Le Livre des leurres)

Europe

Réfractaire à toute forme d’excès, à toute forme de vie, elle délibère, elle délibérera toujours, même après avoir cessé d’exister : ne fait-elle pas déjà l’effet d’un conciliabule de spectres ? (La tentation d’exister)

Événement

Y a-t-il un seul événement qui vaille la peine d’être relaté ? (La tentation d’exister)

L’homme s’irrite beaucoup plus de l’absence que de la profusion  d’événements ; aussi l’histoire est-elle le produit sanglant de son ennui. (Précis de décomposition)

Existence

Toute existence qui ne recèle pas une grande folie reste dépourvue de valeur. En quoi une telle existence se distinguerait-elle de celle d’une pierre, d’un bout de bois ou d’une mauvaise herbe ? (Sur les cimes du désespoir)

Exister

Exister, c'est mettre à profit notre part d’irréalité, c'est vibrer au contact du vide qui est en nous. (La tentation d’exister)

Exister est un phénomène colossal – qui n’a aucun sens. (Écartèlement)

Expériences

Les expériences subjectives les plus profondes sont aussi les plus universelles en ce qu’elles rejoignent le fond originel de la vie. (Sur les cimes du désespoir)

Toute expérience qui n’est pas convertie en volupté est une expérience manquée. (La tentation d’exister)

Expression

L’expression [écrite] est soulagement, revanche indirecte de celui qui ne peut digérer une honte et qui se rebelle en paroles contre ses semblables et contre soi. (Exercices d’admiration)

Extase

L’extase véritable est périlleuse ; elle ressemble à la dernière phase de l’initiation des mystères égyptiens, où la parole : « Osiris est une divinité noire » remplaçait la connaissance explicite et définitive. (Sur les cimes du désespoir)

Extrêmes

Avoir éprouvé la fascination des extrêmes, et s’être arrêté quelque part entre le dilettantisme et la dynamite ! (Syllogismes de l’amertume)