M... comme méditer

 

Majuscules

Il y a une indécence à mettre trop d’âme dans les grands mots : l’enfantillage de tout enthousiasme pour la connaissance… Et il est temps que la philosophie, jetant un discrédit sur la Vérité, s’affranchisse de toutes les majuscules. (Précis de décomposition)

Malade

Le désir secret du malade est que tout le monde soit malade, et de l’agonisant que tout le monde soit à l’agonie. (La chute dans le temps)

Maladie

La maladie rend la mort toujours présente ; les souffrances nous relient à des réalités métaphysiques, qu’un homme normal et en bonne santé ne comprendra jamais. Les jeunes parlent de la mort comme d’un événement extérieur ; une fois frappés de plein fouet par la maladie, ils perdront cependant toutes les illusions de la jeunesse. Il est certain que les seules expériences authentiques sont celles qui naissent de la maladie. Toutes les autres portent fatalement une marque livresque, car un équilibre organique n’autorise que des états suggérés, dont la complexité procède d’une imagination exaltée. Seuls les vrais souffrants sont capables d’un sérieux authentique. (Sur les cimes du désespoir)

Si l’homme a pu fausser compagnie aux animaux, c'est qu’il était sans doute plus exposé et plus réceptif aux maladies qu’eux. Et s’il réussit à se maintenir dans on état actuel, c'est parce qu’elles ne cessent jamais de l’aider ; elles l’entourent plus que jamais et se multiplient, afin qu’il ne se croie ni seul ni déshérité ; elles veillent pour qu’il prospère, pour qu’à aucun moment il n’ait le sentiment qu’on ne le pourvoie pas en tribulations. (La chute dans le temps)

Malchance

Il n’est pas élégant d’abuser de la malchance : certains individus, comme certains peuples, s’y complaisent tant qu’ils déshonorent la tragédie. (Syllogismes de l’amertume)

Malheur

Chacun devrait désirer le malheur pour soi afin de l’épargner à l’autre. Il est mille fois plus supportable d’avoir été malheureux que de rendre malheureux. (Le livre des leurres)

Le malheur est l’état poétique par excellence. (Le crépuscule des pensées)

Marche

La marche vous empêche de tourner et retourner des interrogations sans réponse, alors qu’au lit on remâche l’insoluble jusqu’au vertige. (préface à l’édition française de Sur les cimes du désespoir)

Massacres

On ne tue jamais qu’au nom d’un dieu ou de ses contrefaçons : les excès suscités par la déesse Raison, par l’idée de nation, de classe ou de race sont parents de ceux de l’Inquisition ou de la réforme. (Précis de décomposition)

On tue aujourd'hui au nom de quelque chose ; on n’ose plus le faire spontanément. (Précis de décomposition)

Masse

Quand une nation commence à se décatir, elle s’oriente vers la condition de masse. (La tentation d’exister)

Maux

Chacun de nous est prisonnier de ses maux passés, et s’il est anxieux, de ses maux à venir. (La chute dans le temps)

Ce ne sont pas les maux violents qui nous marquent mais les maux sourds, insistants, tolérables, faisant partie du train-train quotidien et nous sapant aussi consciencieusement que nous sape le temps. (Aveux et anathèmes)

Méditer

Méditer est un loisir suprême, dont le secret s’est perdu. (De l’inconvénient d’être né)

Mélancolie

La mélancolie n’est pas un état de gravité rigoureuse, issue d’une affection organique, car elle n’a rien de la terrible sensation d’irréparable qui couvre l’existence toute entière et qu’on retrouve dans certains cas de tristesse profonde. La mélancolie, même la plus noire, est plutôt une humeur temporaire qu’un état constitutif ; celle-ci n’exclut jamais totalement la rêverie, et ne permet donc pas d’assimiler la mélancolie à une maladie. [...] Au bout de toute mélancolie, se lève la possibilité d’une consolation ou d’une résignation. (Sur les cimes du désespoir)

Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter. (Syllogismes de l’amertume)

Mer

Le spectacle de la mer est plus enrichissant que l’enseignement de Bouddha. (Correspondance)

Métaphysique

Le sentiment métaphysique de l’existence est d’ordre extatique, et toute métaphysique plonge ses racines dans une forme particulière d’extase. On a tort de n’en admettre que la variante religieuse. Il existe, en fait, une multiplicité de formes qui, dépendant d’une configuration spirituelle spécifique ou d’un tempérament, ne mènent pas nécessairement à la transcendance. Pourquoi n’y aurait-il pas une extase de l’existence pure, des racines immanentes de la vie ? Ne s’accomplit-elle pas dans un approfondissement qui déchire les voiles superficiels pour permettre l’accès au noyau du monde ? Pouvoir toucher les racines de ce monde, réaliser l’ivresse suprême, l’expérience de l’originel et du primordial, c'est éprouver un sentiment métaphysique issu de l’extase des éléments essentiels de l’être. L’extase comme exaltation dans l’immanence, incandescence, vision de la folie de ce monde – voici donc une base pour la métaphysique – valable même pour les derniers instants, pour les moments de la fin. (Sur les cimes du désespoir)

Les racines de la métaphysique sont tout aussi compliquées que celles de l’existence. (Sur les cimes du désespoir)

Les époques travaillées par l’interrogation métaphysique demeurent les moments culminants, les vrais sommets du passé. (Écartèlement)

Métèque

Dans tout citoyen d’aujourd’hui gît un métèque futur. (Syllogismes de l’amertume)

Misanthropie

J’assiste, terrifié, à la diminution de ma haine des hommes, au relâchement du dernier lien qui me reliait à eux. (Syllogismes de l’amertume)

L’avantage non négligeable d’avoir beaucoup haï les hommes est d’en arriver à les supporter par épuisement de cette haine même. (De l’inconvénient d’être né)

Misère

La misère détruit tout dans la vie ; la rend infecte, hideuse, spectrale. Il y a la pâleur aristocratique et la pâleur de la misère : la première vient du raffinement, la seconde d’une momification. Car la misère fait de vous un fantôme, elle crée des ombres de vie et des apparitions étranges, formes crépusculaires comme issues d’un incendie cosmique. Pas la moindre trace d’une purification dans ses convulsions ; seulement la haine, le dégoût et la chair aigrie. La misère n’enfante pas plus que la maladie une âme innocente et angélique, ni une humilité immaculée ; son humilité est venimeuse, mauvaise et vindicative, et le compromis auquel elle mène cache des plaies et des souffrances aiguës. Je ne veux pas d’une révolte relative contre l’injustice. Je n’admets que la révolté éternelle, car éternelle est la misère de l’humanité. (Sur les cimes du désespoir)

Mission

Il faudrait supprimer les hommes que ne dévore pas la conscience d’une mission. (De la transfiguration de la Roumanie)

Ma mission est de voir les choses telles qu’elles ont. Tout le contraire d’une mission… (Aveux et anathèmes)

Moderne

Être moderne, c'est bricoler dans l’Incurable. (Syllogismes de l’amertume)

Modestes(s)

Rien ne rend modeste, pas même la vue d’un cadavre. (Écartèlement)

Moi (cf. soi)

Le moi est une œuvre d’art qui se nourrit de la souffrance que la religion cherche à apaiser. Et l’homme n’a d’autre noblesse que d’être son propre esthète. Il érigera dans la douleur la beauté de sa petitesse et en pétrira la substance en se consumant. (Bréviaire des vaincus)

On périt toujours par le moi qu’on assume : porter un nom c’est revendiquer un mode exact d’effondrement. (La tentation d’exister)

Le « moi » constitue le privilège de ceux-là seuls qui ne vont pas jusqu’au bout d’eux-mêmes. (La tentation d’exister)

Nous aurions dû être dispensés de traîner un corps. Le fardeau du moi suffisait. (De l’inconvénient d’être né)

Monothéisme (judéo-chrétien)

Le monothéisme judéo-chrétien est le stalinisme de l'Antiquité. (Carnets 1957-1972)

Monstre(s)

Seuls les monstres peuvent se permettre de voir les choses telles qu’elles sont. (Histoire et utopie)

Combattre un monstre, c'est nécessairement posséder quelques mystérieuses affinités avec lui, c'est aussi lui emprunter certains traits de caractère. (Joseph de Maistre. Essai sur la pensée réactionnaire)

Montagne

L’ennui se fait musique au bord de la mer, et extase sur le sommet des montagnes. (Le crépuscule des pensées)

Quand on a vécu à la montagne, le reste vous semble d’une médiocrité sans nom. (Entretiens)

Montre

Deux choses m’ont toujours rempli d’une hystérie métaphysique : une montre qui fonctionne et une montre qui ne fonctionne pas. (Le crépuscule des pensées)

Morale

Toute la morale n’a d’autre but que de transformer cette vie en une somme d’occasions perdues. (Sur les cimes du désespoir)

Moraliste

Le véritable moraliste n’est jamais intéressé et, comme il dénonce des maux immanents à n’importe quel genre de société, il exprime et attaque son temps tout en le dépassant : c'est dire que son fiel ne date pas. Il se propose pour tâche de connaître les autres et de se définir soi-même, entreprise ingrate s’il en fut, notre nature répugnant à prendre conscience d’elle-même parce qu’elle n’y parvient qu’au détriment des actes, et qu’il y a incompatibilité entre connaître et agir. Obnubilés par le faire, par la coïncidence du mot et des choses, nous sommes portés à nous manifester, à nous identifier à ce qui nous échappe et nous résiste ; mais quand nous nous connaissons, nous sommes également extérieurs à nous-mêmes et au monde. Voilà pourquoi le moraliste adonné tout ensemble à l’introspection et à l’observation, spectateur de lui-même et d’autrui, vit toujours en marge de l’existence. Il s’y connaît en homme, parce qu’il a le rare malheur de se connaître ; à ce malheur s’en ajoute un autre : celui de grossir démesurément ses propres travers et ceux de ses semblables, par l’effet conjugué de la minutie et de l’imagination. Attaché à percevoir le monstre qu’il cache en lui-même, il est naturel qu’il voit tout en grand ; et qu’il construise la figure de l’homme en cédant à la tentation du monumental. (Préface à Anthologie du portrait)

Mort (la)

La mort : le sublime à la portée de chacun. (Le crépuscule des pensées)

La mort est un état de perfection, le seul à la portée d’un mortel. (Écartèlement)

Qui ne voit pas la mort en rose est affecté d’un daltonisme du cœur. (Syllogismes de l’amertume)

Nous ne courons pas vers la mort, nous fuyons la catastrophe de la naissance, nous nous démenons, rescapés qui essaient d’oublier. Lorsque peur de la mort n’est que la projection dans l’avenir d’une peur qui remonte à notre premier instant. (De l’inconvénient d’être né)

Mots

Seuls subsistent d’une œuvre deux ou trois moments : des éclairs dans du fatras. Vous dirais-je le fond de ma pensée ? Tout mot est un mot de trop. (La tentation d’exister)

Que tout ait été dit, qu’il n’y ait plus rien à dire, on le sait, on le sent. Mais ce qu’on sent moins est que cette évidence confère au langage un statut étrange, voire inquiétant, qui le rachète. Les mots sont enfin sauvés, parce qu’ils ont cessé de vivre. (De l’inconvénient d’être né)

Si, par hasard ou par miracle, les mots s’envolaient, nous serions plongés dans une angoisse et une hébétude intolérables. Ce mutisme subit nous exposerait au plus cruel supplice. [...] En baptisant les choses et les événements nous éludons l’Inexplicable : l’activité de l’esprit est une tricherie salutaire, un exercice d’escamotage ; elle nous permet de circuler dans une réalité adoucie, confortable et inexacte. (Précis de décomposition)

Lorsqu’on pense à toutes les bouches par où passèrent les mots, à tous les souffles qui les corrompirent, à toutes les occasions où ils ont été proférés, peut-on se servir encore d’un seul mot sans en être pollué ? (Précis de décomposition)

Tu as rêvé d’incendier l’univers, et tu n’as pas même réussi à communiquer ta flamme aux mots, à en allumer un seul ! (Syllogismes de l’amertume)

Mourir

L’homme accepte la mort mais non l’heure de sa mort. Mourir n’importe quand, sauf quand il faut que l’on meure. (De l’inconvénient d’être né)

Personne n’arrive, avant son dernier moment, à user totalement sa mort : elle conserve, même pour l’agonisant-né, un rien de nouveauté. (De l’inconvénient d’être né)

On meurt de l’essentiel lorsqu’on se détache de tout. (Le crépuscule des pensées)

Mourir à soixante ou quatre-vingts ans est plus dur qu’à dix ou trente. L’accoutumance à la vie, voilà le hic. Car la vie est un vice. Le plus grand qui soit. Ce qui explique pourquoi on a tant de peine à s’en débarrasser. (Écartèlement)

La volonté de retourner à la matière fait le fond même du désir de mourir. (La chute dans le temps)

Tout le monde n’a pas la chance de mourir jeune. (Exercices d’admiration)

Quiconque ne meurt pas jeune s’en repentira tôt ou tard. (Cahiers 1957-1972)

Mozart

Chaque fois que j’écoute sa musique, je me sens pousser des ailes d’ange. (Le livre des leurres)

Musique

Il n’y a au fond de musique que religieuse. (Le livre des leurres)

La musique est le refuge des âmes ulcérées par le bonheur. (Syllogismes de l’amertume)

La musique est le langage de la transcendance. (Entretiens)

Mystique

La mystique est une irruption de l’absolu dans l’histoire. Elle est, de même que la musique, le nimbe de toute culture, sa justification ultime. (Des larmes et des saints)

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