P... comme pourquoi

 

Pâleur

La pâleur nous montre jusqu’où le corps peut comprendre l’âme. (Syllogismes de l’amertume)

Paradis

Le paradis, imaginable à la rigueur dans le passé, ne l’est pas du tout dans le futur : le fait néanmoins qu’il ait été placé avant l’histoire jette sur celle-ci des clartés dévastatrices, qui font qu’on s’interroge s’il n’eût pas mieux valu qu’elle restât à l’état de menace, de pure virtualité. (Écartèlement)

Le paradis, c'est l’absence de l’homme. (La chute dans le temps)

Paradoxe

On ne peut expliquer un paradoxe, non plus qu’un éternuement. D’ailleurs, le paradoxe n’est-il pas un éternuement de l’esprit ? (Le crépuscule des pensées)

Parasite

La vie de parasite, c'est-à-dire la vie paradisiaque – une vie faite de projets non aboutis – m’est apparue comme la seule supportable. (Entretiens)

Paresse

Pour éveiller le monde, il faut exalter la paresse. C'est que le paresseux a infiniment plus de sens métaphysique que l’agité. (Sur les cimes du désespoir)

Paris

Paris, point le plus éloigné du Paradis, n’en demeure pas moins le seul endroit où il fasse bon désespérer. (Syllogismes de l’amertume)

Parler

Celui qui parle au nom des autres est toujours un imposteur. (Précis de décomposition)

Parole

Je crois la parole récente, je me figure mal un dialogue qui remonte au-delà de dix mille ans. Je me figure encore plus mal qu’il puisse y en avoir un, je ne dis pas dans dix mille, dans mille ans seulement. (De l’inconvénient d’être né)

Conventionnelle par définition, étrangère à nos exigences impérieuses, la parole est vide, exténuée, sans contact avec nos profondeurs : il n’en est aucune qui en émane ni qui y descende. Si, au début au moment où elle fit son apparition, elle pouvait servir, il en va différemment aujourd'hui : pas une seule, même pas celles transfigurées en jurons, ne contient la moindre vertu tonique. Elle se survit : longue et pitoyable désuétude. (La chute dans le temps)

La parole supplée à l’insuffisance des remèdes et guérit la plupart de nos maux. Le bavard ne court pas les pharmacies. (Aveux et anathèmes)

Patrie

Un homme qui se respecte n’a pas de patrie. Une patrie, c’est de la glu. (Écartèlement)

Une patrie est un soporifique de chaque instant. (La tentation d’exister)

On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c'est cela et rien d’autre. (Aveux et anathèmes)

Péché

Il faut radier de la conscience humaine l’idée de péché et il faut détruire toutes les religions et les philosophies qui la propagent et l’identifient à la vie. (Le livre des leurres)

Pensée

J’aime la pensée qui garde une saveur de chair et de sang, et je préfère mille fois à l’abstraction vide une réflexion issue d’un transport sensuel ou d’un effondrement nerveux. (Sur les cimes du désespoir)

La vraie pensée ressemble à un démon qui trouble les sources de la vie, ou bien à une maladie qui en affecte les racines mêmes. Penser à tout moment, se poser des problèmes capitaux à tout bout de champ et éprouver un doute permanent quant à son destin ; être fatigué de vivre, épuisé par ses pensées et par sa propre existence au-delà de toute limite ; laisser derrière soi une traînée de sang et de fumée comme symbole du drame et de la mort de son être – c'est être malheureux au point que le problème de la pensée vous donne envie de vomir et que la réflexion vous apparaît comme une damnation. (Sur les cimes du désespoir)

Penser

Une constatation que je peux vérifier, à mon grand regret, à chaque instant : seuls sont heureux ceux qui ne pensent jamais, autrement dit ceux qui ne pensent que le strict minimum nécessaire pour vivre. (Sur les cimes du désespoir)

La profondeur d’une pensée est fonction du risque que l’on y court. Ou nous mourrons en héros de la pensée, ou nous renonçons à penser. (Le livre des leurres)

Penser, c'est cesser de vénérer, c'est s’insurger contre le mystère et en proclamer la faillite. (La tentation d’exister)

Pensent profondément ceux-là seuls qui n’ont pas le malheur d’être affligés du sens du ridicule. (Écartèlement)

Penseur(s)

Tout penseur, au début de sa carrière, opte malgré lui pour la dialectique ou pour les saules pleureurs. (Syllogismes de l’amertume)

Le premier penseur fut sans nul doute le premier maniaque du pourquoi. (De l’inconvénient d’être né)

Je n’aime que les penseurs qui n’ont inspiré aucun tribun. (De l’inconvénient d’être né)

Perdant

Une seule chose importe : apprendre à être perdant. (De l’inconvénient d’être né)

Père

Avoir commis tous les crimes, hormis celui d’être père. (De l’inconvénient d’être né)

Persécuteur(s)

Les grands persécuteurs se recrutent parmi les martyrs auxquels on n’a pas coupé la tête : loin de diminuer l’appétit de puissance, la souffrance l’exaspère. (Précis de décomposition)

Personne

Il n’est personne dont, à un moment ou à un autre, je n’aie souhaité la mort. (Écartèlement)

Perversité

Si virulente est notre perversité, qu’au lieu de l’atténuer, nos réflexions sur elle, comme nos efforts pour la surmonter, l’affermissent et l’aggravent. (Écartèlement)

Pessimisme

Le pessimisme, cette cruauté des vaincus qui ne sauraient pardonner à la vie d’avoir trompé leur attente. (Précis de décomposition)

Peuple

Le désir de grandeur et d’inutilité est la suprême excuse d’un peuple. Le bon sens est sa mort. (Bréviaire des vaincus)

J’aime ces peuples d’astronomes : Chaldéens, Assyriens, Précolombiens, qui, par goût du ciel, firent faillite dans l’histoire. (Syllogismes de l’amertume)

Philosophie

N’oublions pas que la philosophie est l’art de masquer ses tourments et ses supplices. (Sur les cimes du désespoir)

L’histoire de la philosophie est la négation de la philosophie. (De l’inconvénient d’être né)

On n’enseigne bien la philosophie que dans l’agora, dans un jardin, ou chez soi. La chaire est le tombeau du philosophe, la mort de toute pensée vivante, la chaire de l’esprit en deuil. (De l’inconvénient d’être né)

Pitié

N’ayez aucune pitié de ceux qui ont pitié d’eux-mêmes. Ils ne s’effondreront jamais tout à fait. (Exercices d’admiration)

Plagiat

Presque toutes les œuvres sont faites avec des éclairs d’imitation, avec des frissons appris et des extases pillées. (Syllogismes de l’amertume)

Plaisir

Tout plaisir inassouvi est une occasion perdue pour la vie. (Sur les cimes du désespoir)

Platon

À quoi bon fréquenter Platon, quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde ? (Syllogismes de l’amertume)

Plèbe

La plèbe veut être assommée par des invectives, des menaces et des révélations, par des propos fracassants : elle aime les gueulards. (La tentation d’exister)

Poésie

Poésie ! Ce mot qui à lui seul me faisait naguère imaginer mille univers n’éveille plus dans mon esprit qu’une vision de ronron et de nullité, de mystères fétides et d’afféteries. (La tentation d’exister)

Poète

J’estime plus un concierge qui se pend qu’un poète vivant. (Précis de décomposition)

Ponctualité

La ponctualité, variété de la « folie du scrupule ». Pour être à l’heure, je serais capable de commettre un crime. (Aveux et anathèmes)

Ponctuation

Je rêve d’un monde où l’on mourrait pour une virgule. (Syllogismes de l’amertume)

Portrait

Le portrait en tant que genre est issu de la vengeance et du cauchemar de l’homme de bonne compagnie qui a trop pratiqué ses semblables pour ne point les exécrer. (Préface à Anthologie du portrait)

Possession (matérielle)

Il est déjà grave de dire moi, plus grave encore de dire mien, car cela suppose un surplus de dégringolade, un renforcement de notre inféodation au monde. (Des larmes et des saints)

Toute forme de possession, n’ayons crainte d’y insister, dégrade, avilit, flatte le monstre assoupi au fond de chacun de nous. Disposer, ne fût-ce que d’un balai, compter n’importe quoi comme son bien, c'est participer à l’indignité générale. Quelle fierté de découvrir que rien ne vous appartient, quelle révélation ! Vous vous preniez pour le dernier des hommes, et, voilà que, soudain, surpris et comme illuminé par votre dénuement, vous n’en souffrez plus : bien au contraire, vous en tirez orgueil. (Histoire et utopie)

Pourquoi

Le premier penseur fut sans nul doute le premier maniaque du pourquoi. (De l’inconvénient d’être né)

Pouvoir

Ce ne sont jamais les forts, ce sont les faibles qui aspirent au pouvoir et y atteignent, par l’effet combiné de la ruse et du délire. N’éprouvant nul besoin d’ajouter à sa force, qui est réelle, un fauve ne s’abaisse jamais à l’outil. (La chute dans le temps)

Prier

L’homme a certainement commencé à prier bien avant d’avoir su parler, car les affres qu’il dût connaître en quittant l’animalité, en la reniant, comment aurait-il pu les supporter sans des grognements et des gémissements, préfigurations, signes avant-coureurs de la prière ? (De l’inconvénient d’être né)

Prière

Une prière inarticulée, répétée intérieurement jusqu’à l’hébétude ou l’orgasme, pèse plus lourd qu’une idée, que toutes les idées. Prospecter n’importe quel monde, sauf celui-ci, s’abîmer dans un hymne silencieux à la vacuité, se lancer dans l’apprentissage de l’ailleurs. (La chute dans le temps)

Problèmes

Nous sommes tous des farceurs : nous survivons à nos problèmes. (Syllogismes de l’amertume)

Prochain

Le mot « prochain » n’a aucun sens dans une grande ville. C'est un vocable qui était légitime dans les civilisations rurales, où les gens se connaissaient de près, et pouvaient s’aimer et se détester en paix. (Écartèlement)

Profondeur

La profondeur est indépendante du savoir. (Précis de décomposition)

Progrès

Tout pas en avant, toute forme de dynamisme comporte quelque chose de satanique : le « progrès » est l’équivalent moderne de la Chute, la version profane de la damnation. (La chute dans le temps)

Le progrès n’est rien d’autre qu’un élan vers le pire. (L’élan vers le pire)

Prométhée

L’entreprise de Prométhée est compromise pour toujours. L’homme, ayant violé toutes les lois non écrites, les seules qui comptent, et franchi les frontières qui lui étaient assignées, s’est élevé trop haut pour ne pas exciter la jalousie des dieux, qui, décidés à le frapper, l’attendent maintenant au tournant. (Écartèlement)

Prométhée, de nos jours, serait un député de l’opposition. (Syllogismes de l’amertume)

Premier zélateur de la « science », un moderne dans la pire acceptation du mot, ses fanfaronnades et ses délires annoncent ceux de maints doctrinaires du siècle passé : ses souffrances seules nous consolent de tant d’extravagances. (Histoire et utopie)

Protester

Plus on a souffert, moins on revendique. Protester est signe qu’on n’a traversé aucun enfer. (Aveux et anathèmes)

Psychiatrie

La psychiatrie n’aurait plus d’objet s’il nous était loisible de divulguer l’immense bien que nous pensons de nous ou si nous avions à n’importe quelle heure du jour un flatteur à portée de la main. (La chute dans le temps)

Publier

Publier un livre comporte le même genre d’ennuis qu’un mariage ou un enterrement. (Aveux et anathèmes)

Pureté

Chacun de nous est né avec une dose de pureté, prédestinée à être corrompue par le commerce avec les hommes, par ce péché contre la solitude. (Précis de décomposition)

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