R... comme rien

 

Rage (autodestructrice)

La clef de tout ce qu’il y a d’inexplicable dans l’histoire pourrait bien se trouver dans la rage contre soi, dans la terreur de la satiété et de la répétition, dans le fait que l’homme préférera toujours l’inouï à la routine. (La chute dans le temps)

Raison

L’homme devrait cesser d’être – ou de devenir – un animal doué de raison. Il ferait mieux de devenir un être insensé qui risquerait tout à chaque instant – un être capable d’exaltations et de fantasmes dangereux, qui pourrait mourir de tout ce qu’offre la vie comme de tout ce qu’elle n’offre pas. Chaque homme devrait avoir pour idéal de cesser d’être homme. Et cela ne peut se faire que par le triomphe de l’arbitraire absolu. (Sur les cimes du désespoir)

Ratés

Je me suis toujours emballé pour des personnages sans avenir, dont j’ai épousé les folies au point d’en souffrir presque autant qu’eux. (Syllogismes de l’amertume)

Réactionnaire

Toute sagesse et, à plus forte raison, toute métaphysique, sont réactionnaires, ainsi qu’il sied à toute forme de pensée qui, en quête de constances, s’émancipe de la superstition du divers et du possible. Contradiction dans les termes qu’un sage, ou un métaphysicien, révolutionnaire. À un certain de gré de détachement et de clairvoyance, l’histoire n’a plus cours, l’homme même cesse de compter : rompre avec les apparences, c'est vaincre l’action et les illusions qui en découlent. Quant on s’appesantit sur la misère essentielle des êtres, on ne s’arrête pas à celle qui résulte des inégalités sociales, ni on ne s’efforce d’y remédier. (Préface à Les soirées de Saint-Pétersbourg de Joseph de Maistre)

Une loi inexorable frappe et dirige sociétés et civilisations. Quand, faute de vitalité, le passé fait faillite, s’y cramponner ne sert à rien. Et pourtant, c'est cet attachement à des formes de vie désuètes, à des causes perdues ou mauvaises, qui rend pathétiques les anathèmes d’un Maistre ou d’un Bonald. Tout semble admirable et tout est faux dans la vision utopique ; tout est exécrable, et tout a l’air vrai, dans les constations des réactionnaires. (Joseph de Maistre)

Rédemption

La rédemption a pour sens la disparition du pronom personnel. (Bréviaire des vaincus)

C'est par le désaveu de nos actes et le dégoût de nous-mêmes que nous pouvons nous racheter. (La chute dans le temps)

Religion

Solitude et orgueil, tels sont les deux attributs de l’homme. Et il vaque pour les mettre au jour. Mais voici qu’apparaît la religion : un système de remèdes empoisonnant l’existence. Pourquoi l’a-t-on inventée ? Quel est le besoin qui secrète tant de venin ? (Bréviaire des vaincus)

Ne comprend vraiment la "religion" que celui-là seul qui, s'il écoutait son instinct le plus profond, pousserait un "Au secours" si fort, si dévastateur, qu'aucun dieu n'y survivrait. (Carnets 1957-1972)

Rendez-vous

Tant la solitude me comble que le moindre rendez-vous m’est une crucifixion. (Aveux et anathèmes)

Reniement

Un élément de bonheur entre indubitablement dans toute volte-face ; on y puise même un surcroît de vigueur : le reniement rajeunit. (La chute dans le temps)

Reptile

Au Jardin des Plantes, j’ai longuement contemplé les yeux d’un alligator, son regard immémorial. Ce qui me séduit chez les reptiles, c’est leur hébétude impénétrable, qui les apparente aux pierres : on dirait qu’ils viennent d’avant la vie, qu’ils la précédèrent sans l’annoncer, qu’ils la fuyaient même. (Écartèlement)

Rêveries du promeneur solitaire

La solitude véritable nous isole complètement entre ciel et terre, car là se révèle tout le drame da la finitude. Les promenades solitaires – à la fois extrêmement fécondes et dangereuses pour la vie intérieure – doivent être faites sans que rien ne vienne troubler l’isolement de l’homme en ce monde, le soir, à l’heure où aucune des distractions habituelles ne peut plus susciter d’intérêt, à l’heure où notre vision du monde émane de la région la plus profonde de l’esprit, de la zone de séparation d’avec la vie et sa blessure. Que de solitude nous faut-il pour accéder à l’esprit ? Que de mort nous faut-il dans la vie, et que feu intérieur ? La solitude nie à ce point la vie que l’épanouissement de l’esprit, né de déchirements intérieurs, en devient presque insupportable. N’est-il pas significatif que les hommes qui s’insurgent contre lui soient précisément ceux qui en ont trop, ceux qui connaissent la gravité de la maladie ayant affecté la vie pour engendrer l’esprit ? (Sur les cimes du désespoir)

Révolution

Si la Révolution a triomphé, c'est que le pouvoir était une fiction et le « tyran » un fantôme : elle s’est littéralement battue contre des spectres. Du reste, une révolution, quelle qu’elle soit, ne l’emporte que si elle se trouve aux prises avec un ordre irréel. Il en va de même de tout avènement, de tout grand tournant historique. Les Goths ne conquirent pas Rome mais un cadavre. Le seul mérite des Barbares fut d’avoir eu du flair. (Écartèlement)

Toutes les calamités – révolutions, guerres, persécutions – proviennent d’un à-peu-près inscrit sur un drapeau. (Syllogismes de l’amertume)

N’est véritablement révolutionnaire que l’état pré-révolutionnaire, celui où les esprits souscrivent au double culte de l’avenir et de la destruction. Tant qu’une révolution n’est qu’une possibilité, elle transcende les données et les constantes de l’histoire, elle en dépasse pour ainsi dire le cadre ; mais, dès qu’elle s’instaure, elle y rentre et s’y conforme, et, prolongeant le passé, en suit l’ornière ; elle y parvient d’autant mieux qu’elle utilisera les moyens de la réaction qu’elle avait auparavant condamnés. Il n’est jusqu’à l’anarchiste qui ne dissimule, au plus profond de ses révoltes, un réactionnaire qui attend son heure, l’heure de la prise de pouvoir, où la métamorphose du chaos en… autorité pose des problèmes qu’aucune utopie n’ose résoudre ni même envisager sans tomber dans le lyrisme ou le ridicule. (Joseph de Maistre. Essai sur la pensée réactionnaire)

On peut discourir indéfiniment sur le destin des révolutions politiques ou autres : un seul trait leur est commun, une seule certitude se dégage de l’examen qu’on en fait : la déception qu’elles suscitent chez tous ceux qui y ont cru avec quelque ferveur. (Joseph de Maistre. Essai sur la pensée réactionnaire)

Une nation ne produit jamais deux grandes idées révolutionnaires, ni deux formes de messianisme radicalement différentes. Elle donne sa mesure une seule fois, à une époque circonscrite, définie, moment suprême de son expansion, où elle triomphe avec toutes ses vérités et tous ses mensonges ; elle s’épuise ensuite, comme s’épuise la mission dont elle fut investie. (Joseph de Maistre. Essai sur la pensée réactionnaire)

Richesse (intérieure)

Être plein de soi, non dans le sens de l’orgueil, mais de la richesse, être travaillé par une infinité intérieure et une tension extrême, cela signifie vivre intensément, jusqu’à se sentir mourir de vivre. Si rare est ce sentiment, et si étrange, que nous devrions le vivre avec des cris. (Sur les cimes du désespoir)

Rien

C'est une consolation de se dire qu’on n’est rien, la consolation suprême résiderait dans la victoire sur cette idée-même. (Des larmes et des saints)

Quand on a compris que rien n’est, on est sauvé, et malheureux à jamais. (Des larmes et des saints)

Rien ne prouve que nous sommes plus que rien. (Précis de décomposition)

Même quand rien ne passe, tout me semble de trop. (Écartèlement)

Rimbaud

Je lisais Le Bateau ivre à quelqu'un qui ne le connaissait pas et qui d’ailleurs était étranger à la poésie. « On dirait que ça vient du tertiaire » fut son commentaire une fois la lecture finie. Pour un jugement, c’en est un. (Aveux et anathèmes)

Risque

Je préfère mille fois une existence dramatique, tracassée par son destin et soumise au supplice des flammes les plus brûlantes, à celle de l’homme abstrait, tourmenté par des questions non moins abstraites et qui ne l’affectent qu’en surface. Je méprise l’absence du risque, de la folie et de la passion. Combien féconde en revanche est une pensée vive et passionnée, irriguée par le lyrisme ! (Sur les cimes du désespoir)

Ruptures

Les seuls événements notables d’une vie sont les ruptures. Ce sont elles aussi qui s’effacent en dernier de notre mémoire. (Aveux et anathèmes)

Rompre avec ses dieux, ses ancêtres, avec sa langue et son pays, rompre tout court, est une épreuve terrible, c'est certain ; mais une épreuve exaltante aussi, que recherchent si avidement le transfuge et, plus encore, le traître. (Aveux et anathèmes)

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