Ascension du pic d'Anie (2.504 m)

Accès routier  : D’Oloron-Sainte-Marie, rejoindre la station de la Pierre-Saint-Martin par Aramits et Arette. À l’entrée de la station, au premier rond-point, s’engager à droite sur le parking du télésiège de l’Arlas, traverser l’aire de stationnement des campings-cars puis bifurquer à gauche pour prendre une route signalisée impasse qui se transforme en piste sous le refuge Jeandel repérable à son drapeau européen. Départ à 1.670 m.

Dénivelée  : 1.000 m environ compte-tenu des pertes de niveaux.

Horaire : 7 à 8 h A & R.

Difficulté : Course sans difficulté majeure en dehors de la traversée du lapiaz, qui réclame prudence et bonne visibilité. Fortement déconseillée par mauvais temps, à fortiori en cas brouillard. Escalade de cheminées faciles. Prévoir provision d’eau conséquente.

Cartographie  : Carte Rando Editions N°3 au 1/50.000e Béarn.

Historique : Six kilomètres en amont la station, au col de la Pierre-Saint-Martin (1.760 m), à la borne frontière 262, a lieu tous les 13 juillet une fête commémorative réunissant des maires de la vallée du Barétous et des alcades du val de Roncal espagnol. Cette tradition remonte à l’an 1375, où un litige ancestral qui opposait des bergers des deux vallées se disputant l’unique source coulant du pic d’Arlas fit un mort : le vacher espagnol. Pour mettre un terme à la sanglante vendetta, les gens du Barétous promirent d’offrir annuellement trois belles génisses à leurs à leurs confrères montagnards, pacte qui a perduré jusqu’à nos jours : c'est le « tribut des trois vaches ». La première ascension répertoriée de l’Anie est celle du géographe François Flamichon le 28 juillet 1771. Henri Reboul et Reinhart Junker lui succédèrent, respectivement en 1786 et 1788.

Bibliographie : Georges Véron, 100 sommets des Pyrénées (Rando Éditions, 2002). Henry Russell : Souvenirs d’un montagnard (Éditions PyréMonde, 2004). Miguel Angulo Pyrénées 1.000 ascensions Tome I (Elkarlanean)

La piste s’élève en lacets vers le Sud-Sud-Est, passe sous les remontées mécaniques puis auprès d’une bergerie et de divers chalets et baraquements. Autant d'infrastructures qui dénotent dans le paysage.

On atteint la jolie cuvette de Pescamou (1.780 m) en une demi-heure. La piste, bien entretenue, est fermée à la circulation en juillet et août. En dehors de cette période, on peut monter en véhicule de tourisme jusqu’à la bergerie de Pescamou (1.820 m), au pied du pic d’Arlas, ce qui fait gagner approximativement une heure A & R, et 200 mètres de dénivelée.

Les cochons noirs vivent en semi-liberté dans ces estives, déambulent comme chez eux en bordure de la piste et n'hésitent pas à venir vous renifler de plus près. Mais que viennent faire ici ces bipèdes ?, doivent-ils se demander.

En bordure de piste, on trouve un panonceau mentionnant Pic d’Anie 2h45, estimation relativement optimiste. Après avoir croisé une piste de ski caillouteuse, on s’élève vers le Sud dans les moutonnements herbeux en suivant un sentier balisé de cairns, de ronds rouge et de traits jaune que l’on va suivre jusqu’au col des Anies.

On laisse largement à droite un abri métallique où les spéléologues entreposent leur matériel (1.950 m) avant de passer sous la proue du Murlong. À ce niveau, bien repérer le chemin à prendre au retour.

Vers 2.000 m, on désescalade une barre rocheuse puis on pénètre dans le lapiaz proprement dit, où on va naviguer une heure d’affilée. Il s’agit du plus vaste karst d’Europe (15 km²) après celui du désert de Platé en Haute-Savoie. Spéléologues et hydrogéologues sont loin d’avoir fini d’explorer son réseau de galeries souterraines et de gouffres, qui compte parmi les plus denses et les plus profonds de la planète.

L’aileron de squale de l’Anie se profile dans le lointain, apparemment inaccessible.

Montées et descentes alternent dans un corridor encaissé globalement orienté Sud-Est. L’itinéraire est trop complexe pour être détaillé, il suffit de se laisser guider par notre fil d’Ariane rouge et jaune à travers ce relief tourmenté. On côtoie diverses crevasses et marmites emplies de décombres. On a l'impression d'être seul au monde. Pas un randonneur, pas un berger, pas même une chèvre. Seul le crissement des cailloux sous nos semelles gratouille un silence dont la minéralité ne fait aucun doute. Passer une nuit ici doit être une expérience mémorable.

La vigilance s’impose lors de la traversée de cet univers lunaire, où les animaux eux-mêmes ne se risquent guère. Seuls des pins à crochets, des chardons bleus, des gentianes, des renoncules, des iris et des œillets à delta tiennent tête au vent qui s’engouffre dans la moindre fissure. L’empreinte inexorable de l’érosion se manifeste à chaque détour : parois balafrées par les eaux de ruissellement, frontons tailladés, pignons couverts de griffures, anfractuosités béantes, sculptures abstraites. « Nous sommes ici, affirme le spécialiste de la zone Joseph Canérot, dans une des plus belles morphologies karstique du monde. »

Le défilé s’évase progressivement à mesure que l’on s’approche des contreforts du Soum Couy. On avance le soleil dans les yeux. Aucun distributeur de boissons fraîches dans les parages, dommage il ne manquerait pas de clients.

De la brèche du Bec Canard cotée environ 2.010, le maître de céans apparaît dans toute sa splendeur, nimbé d’un panache de nuées. Le sentier part en balcon au-dessus d’une vasque de débris.

Selle herbeuse (2.050 m). Prendre du recul à l’Ouest sur des pelouses grillées en empruntant une sente cairnée qui mène à une stèle rédigée en euskara (langue basque) et nantie d’une statuette. Continuer dans la même direction sur 500 mètres afin d’admirer l’architecture formidable, malgré son délabrement, du Soum Couy. On a peine à croire que les flots de l’océan aient un jour battu sa carène. C'est pourtant le cas. Non loin d’ici, les géologues ont trouvé des mollusques fossilisés datant du crétacé supérieur : la mer, lors de la fonte des calottes glacières, recouvrait alors la presque totalité de la chaîne pyrénéenne.

De retour à la selle herbeuse, récupérer à gauche le sentier balisé en jaune qui, après moult détours, descend dans une profonde dépression puis remonte des croupes pierreuses en direction du vague col des Anies (2.084 m), où on rejoint l’itinéraire venu de Lescun, d'où partent la plupart des randonneurs effectuant l'ascension du pic d'Anie.

Vue somptueuse au passage sur les Orgues de Camplong dont les teintes varient avec l’ensoleillement.

La sente passe entre deux grands cairns, franchit un ressaut, file à flanc à travers la caillasse, prend les remparts en écharpe.

Avant d'arriver au grand pierrier, un peu d'acrobatie s'impose pour négocier une cheminée haute d’une quinzaine de mètres (I.sup).

On débouche à la base d'un vieux rampaillou où serpentent les lacets. Emergent sur notre droite le pic et la Table des Trois Rois, plus loin les sierras dolomitiques de Gamueta et d’Acherito, enveloppées d'une brume évanescente.

Le cheminement s'élève sur le dis de la bête et gagne sans complication la cime occupée par un muret et un poteau métallique auquel sont nouées diverses banderoles, dont un drapeau à prières himalayen flambant neuf. Premier sommet dépassant 2.500 m à partir de l’Atlantique, l’Anie mérite bien d’être honoré à sa juste valeur. Un vent presque glacial en ce dernier jour d’été balaie les nuages comme des moutons de poussière. En pleine saison, il n’est pas rare de trouver au sommet une vingtaine de randonneurs, foule bon enfant qui ne boude pas son plaisir à la vue du panorama qui s’offre à elle. Outre les Arres qui s’étendent jusqu’à la sierra de Añalara, on recense au premier plan le Soum Couy, le pic de Countendé, le bifide Billare et le bien-nommé Pèneblanque ; à l’Ouest, l’Orhy, l’Hautza et le Baigura ; au Sud, le pic et la Table des Trois Rois, l’Ansabère, le Gamueta, l’Acherito ; au Sud-Ouest, le Guimoa, la peña Forca et l’Alano ; au Sud-Est, le Castillo d’Acher le Bisaurin, l’Aspe, la peña Collarada ; à l’Est, l’Ossau, le Balaïtous, la Grande Fache, le Vignemale, etc.

Du haut de cette pyramide, ce n’est pas quarante siècles d’histoire mais 300 millions d’années de bouleversements géologiques que nous contemplons – ou qui nous contemplent. Le calcaire du Billare date du dévonien, celui de l’Anie du crétacé (90 millions d’années à la base, 65 M au sommet). L’homme n’est qu’un atome à cette aune. Notre présence en ces lieux n’est que provisoire. Il est bon de s’en souvenir.

Russell, qui y monta à l’automne 1866, ne bénéficia pas du même tour d’horizon, dissimulé au regard par une épaisse couverture nuageuse : « Du Nord au Sud-Ouest, consigna-t-il à son retour, on ne voyait plus la terre : elle était cachée sous une mer cotonneuse, sur lesquels descendait le lentement le soleil, superbe et rouge. Sur ma tête, le ciel était pur et calme, et les flancs du pic, enflammés jusqu’à l’incandescence, se dressaient sur d’immenses brouillards de feu. » Circonstance fréquente dans le secteur qui ne l’empêcha pas de vanter l’ascension de ce fier sommet qui « à défaut d’hermine, s’habille presque tous les soirs d’or et de pourpre. »

Sur cette montagne, dit la légende, résidaient des esprits élémentaires dont le Yona Gori ou Seigneur Rouge, génie solitaire et irascible dont la taille dépassait celle d’un sapin (!). Il ne descendait jamais de l’Auñamendi (mont des chèvres), nom que nos amis Basques donnent à l'Orhy, cultivait sur ses pentes des plantes aux vertus surnaturelles, en tirait une décoction qui lui assurait vigueur et longévité. Le lapiaz n’avait aucun secret pour lui, il savait les sortilèges qui repoussent les démons des grottes. Les inconscients qui osaient pénétrer son jardin voyaient fondre sur eux d’épouvantables orages, la foudre les talonnait jusqu’à ce qu’ils chutent dans les entrailles du lapiaz. D’autres génies sévissaient dans les Arres d’Anie, des gnomes tendaient des pièges aux bergers et égaraient les troupeaux, des trolls velus jetaient des maléfices à ceux qui s’aventuraient dans ce dédale, des créatures aux dents jaunes hantaient les forêts et détruisaient les récoltes, des feux-follets ajoutaient à l’ambiance. Les Aspois murmuraient en se signant At soum d’Ania, bronchos, demouns e furias. (Sur le pic d’Anie, il n’y a que sorciers, démons et furies »). Ces superstitions étaient si ancrées dans les mentalités à la fin du XVIIIe siècle que les villageois de Lescun faillirent lapider le botaniste Jacques de Borda qui envisageait d'herboriser sur le maudit pic. Le géologue Pierre-Bernard Palassou, le géographe François Flamichon et le géodésien Reinhart Junker connurent les mêmes mésaventures. Heureusement, depuis le sommet est paré de fanions bouddhistes censés amadouer les kamis locaux et conjurer ces fléaux.

Au retour, on peut s'offrir au passage le Soum Couy en revenant au col coté 2.050 m.