Ascension de la Tuca de Bagüeña ou Comajuaña (2.946 m)

Accès routier  : De Bielsa, prendre la direction d’El Plan, en vallée de Chistau, puis celle de Salinas de Sin. A l’entrée du village, démarre en direction du collado de Sahun une piste en médiocre état d'une douzaine de kilomètres, signalée par un panneau (4x4 recommandé).

De la vallée de Venasque, la piste du col de Sahun démarre au petit village de Chia, à 15 km au Sud de Venasque. Longue d'une douzaine de kilomètres, la piste est plutôt bien entretenue aussi n'est-il pas nécessaire d'être équipé d'un 4x4.

Quelle que soit l’option choisie, de Sahun rejoindre la Pleta des Prats, départ de la course, par une piste pastorale en terre battue de 3 kilomètres (pentue et étroite) qui démarre à l'aval du col et est, en principe, interdite aux véhicules non autorisés. Elle nous fait perdre plus de 200 m de dénivelé.

Afin d'être à pied d'œuvre aux aurores, on peut bivouaquer au col de Sahun, non loin duquel on trouve un refuge qui sert d'abri aux vaches (2.005 m).

Dénivelée : 1.200 m A & R (de Sahun).

Horaire : 6 à 7 h A & R.

Difficulté  : Situé entre les Eriste et le col de Sahun, à l'extrémité méridionale du massif des Posets, la Tuca de Bagüeña (Comajuaña sur certaines cartes) est un sommet rarement visité. Son ascension reste destinée aux randonneurs aguerris, notamment à partir du collado del Cabo la Vall : pentes jonchées de caillasse et brève course de crête.

Cartographie  : Carte n°6 au 1 : 40.000e (Posets/Maladeta) des Editions Pirineo nantie d'un livret explicatif (disponible en français).

Bibliographie : Alain Bourneton : Les grandes Pyrénées (Editions Glénat, 1995). Alban Boyer & Jésus Pardina : Randonnées dans les Pyrénées aragonaises (Rando Éditions, 1993).

L'itinéraire proposé emprunte une des voies pour gravir aux Eriste. Situé au sud du massif des Posets, ce massif n'attire pas la foule. Si les trois Eriste sont quelquefois visités, c'est pour la seule et unique raison qu'ils font plus de 3.000 m. N'atteignant pas cette hauteur fatidique, le Bagüeňa est snobé par les montagnards obnubilés par l’altimètre. C'est pourtant le meilleur belvédère pour observer... les Eriste.

Au terme de la piste (belle cascade en queue de cheval), traverser le torrent sur une passerelle de planches et monter vers la cabane pastorale des Prats et son enclos à moutons (1780 m.). On trouve un panneau indiquant la direction des lacs de Barbarisa et du Tozal (balisage jaune et blanc). Les baliseurs espagnols ont accompli ces dernières années un magnifique travail, qu’ils en soient ici remerciés.

Partir vers l’amont (Nord), remonter un couloir encadré par deux énormes pitons de grès où, bravant la loi de la gravité, s’accrochent divers arbustes et épineux.

L’orientation ne pose aucun problème, le sentier s’élève en balcon, rive gauche du barranco de Llisat et de son torrent, dont il suit les méandres pratiquement jusqu’à sa source.

On navigue à découvert, à droite de la gorge, où les eaux cristallines bondissent en cascades aux ruptures de niveau. Le relief s’ouvre et s’évase à l’infini. Le comte Russell raconte qu’en 1878, les ours étaient nombreux dans cette zone et que mieux valait garder son fusil à portée de main. Aujourd'hui, il n’y a pas que les ours à avoir été chassé des lieux, on n’aperçoit ni isard ni vautour, seules quelques marmottes manifestent leur présence.

On franchit le ruisseau à gué avant de gravir le talus d’un ancien verrou glaciaire et de s’engager dans l’étroit défilé creusé par le torrent.

Au débouché, on découvre le lac inférieur (2.265 m). D’un émeraude profond, il s’étale au fond d’une pleta qu’affectionnent les moutons. À droite, nous domine le puissant Le Tozal, dont les dunes de gravats se déversent directement dans le lac (2 heures).

À la pleta de l'ibon chico (2 heures), quitter le chemin du col de Barbarisa au niveau d'un poteau balisé en orange, et suivre à droite le sentier qui rejoint le rio venu du lac supérieur de Barbarisa (2.315 m). Une descente à travers des banquettes herbeuses nous y amène.

Site sauvage et superbe, sur lequel plane un silence qui semble aussi minéral que les rochers qui le ceinturent. Une légère brise ride la surface du lac, sinon on pourrait la croire vitrifiée. Au fond de l'amphithéâtre profilent sur un ciel azuré la masse sourcilleuse du Bagüeňa (ou Bagüeňola ou Comajuana) et ses murailles de granit décharnées.

Au palier supérieur, à l'aplomb du col de Barbarisa et invisibles d'ici, nichent deux autres ibónes, victimes collatérales du réchauffement climatique. De passage dans le massif en 1878, le géographe Franz Schrader, qui fut le premier à le cartographier, s’émerveilla d'y trouver autant de lacs. « Rien de plus sauvage que ces vallons, écrivit-il, on les croirait brûlés, et dans chacun, nous trouvons un ou plusieurs lacs. Cet hérissement de crêtes granitiques plongeant de toutes parts dans des gouffres bleus est singulièrement beau et très original. » Cent quarante plus tard, force est de reconnaître que ces laquets, résidus d'un ancien glacier, sont en rapide voie évaporation. Bien révolu le temps où on venait y taquiner la truite...

Traverser le déversoir du lac pour récupérer un bon sentier qui contourne une barre rocheuse et s’élève à l’Est vers le collado del Cabo la Vall ou de la Ribereta.

À partir de là, il ne faut pas espérer rencontrer âme qui vive. Encore moins tomber sur un distributeur de boissons fraîches, aussi fera-t-on bien de prendre ses précautions en remplissant sa gourde. Les marmottes sont nombreuses dans ce vallon suspendu et prennent volontiers la pose.

La pente est soutenue, après un replat un couloir d'éboulis nous amène au collado del Cabo la Vall ou de la Ribereta (2.480 m), large échancrure dans l’imposante barrière qui s’étire du Bagüeňa au Tozal et donne accès au vallon de l’Aigüeta de Grist d'où on peut rejoindre la vallée de Benasque.

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La pente est soutenue, après un replat un couloir d'éboulis nous amène au collado del Cabo la Vall ou de la Ribereta (2.480 m), large échancrure dans l’imposante barrière qui s’étire du Bagüeňa au Tozal et donne accès au vallon de l’Aigüeta de Grist (Eriste) d'où on peut rejoindre la vallée de Benasque.

Vus splendide sur le massif de la Maladeta, le Ballibierna & l'ibon de la Ribereta.

Du col, tourner le dos à la crête Sud-Est qui s’étire jusqu’au Tozal del Bocs, pour partir sur la gauche, où on récupère une sente qui longe les murailles orientales de la longue arête du Bagüeňa. Ce qui nous amène à la traversée d’une zone de gravillons qui ne demandent qu’à vous entrainer dans leur chute. Rien de méchant, mais c'est le moment de regarder où on pose le pied. Les murailles sont entaillées de profondes brèches qui sont autant de couloirs d’avalanche. Se fier aux rares cairns qui balisent l'itinéraire. Un dédale de pierriers qui surplomble l’ibon de Bagüeňa, puis ceux de Bagüeňola. On évolue dans un univers minéral, presque lunaire, d'où la vie semble s'être retirée depuis des siècles.

 La pente s’accentue en vue du col de Bagüeňa ou d’Eriste (2.900 m).

 Vue remarquable sur le chameau à trois bosses d’Eriste. Dans un état de décrépitude avancée, les vieilles tours de granit cuisent et recuisent au soleil d'Aragon, aucune langue de neige n’a résisté à l’implacable travail de l’érosion et à l’élévation des températures.

 Du col, on peut descendre au Nord dans la combe pierreuse et gravir en une bonne heure au choix l'un des Eriste. Le plus élevé n'est pas celui de gauche mais du centre (Gran Eriste, 3.053 m), que l’on gravi par la brèche et la crête Sud (II sup).

Pour le Bagüeňa, reste à gravir la crête à gauche ; raide et rocailleuse, elle présente un bref passage exposé mais facile avant le sommet. Un belvédère pareil se mérite.

Au Sud, magnifique plongée sur la vallée de la Ball (ou la Vall), les lacs étagés de Barbarisa, ceinturés par le pico del Urno, les aiguilles de Sen et la peña Solana, le Bagüeňa et le Tozal de Bocs.

Perspective superbe et inattendue au Sud-Ouest sur la Cotiella et ses tributaires, véritable buisson de totems africains. À leur droite, les puntas Llerga et la Montañesa commandent la vallée d’Ainsa. Plus élevée d’une vingtaine de mètres, la Forqueta marque la limite entre le schiste des Posets et le granit des Eriste, et occulte partiellement les Posets, mais non les aiguilles de Forcau, la région de Perramo-Ixeya et les crêtes du Haut-Luchonnais. À l’Est, la vue est dégagée sur la Maladeta et le Ballibierna.

À l’Ouest, par-delà la vallée de Chistau, l’incontournable Suelza ancre le regard, tandis que, côté Pineta, miroitent les névés du massif du Mont-Perdu.

Historique

Lors de son ascension du Posets en 1875, Russell avait été envoûté par une montagne trifide, dont le glacier descendait jusqu’aux berges du lac de Millars : les pics d’Eriste, connus à Venasque sous le nom de Bagüeñola. À court de vivres, il avait dû renoncer à leur conquête. Schrader et lui s’étaient promis de la faire de concert mais le géographe, retenu à Paris, délivra Russell de sa promesse et celui-ci s’y attaqua sans coup férir. Le 16 juillet 1878, il quitte Luchon avec son fidèle Firmin Barrau. La course se déroule au sein d’une zone âpre et désertée, et il s’équipe en conséquence. Dans le Haut-Aragon, rien n’est joué d’avance, et les épreuves si nombreuses qu’on ne peut préjuger de rien : « Fatigues, privations, obstacles de toute espèce à vaincre ; la soif, la faim, toutes les températures et tous les temps, l’huile espagnole, et bien d’autres choses encore, il faut tout endurer et tout braver ! »

Du village d’Eriste, situé à 800 mètres d’altitude, où ils font halte, la dénivelée est conséquente (2.200 m) et dès le lever du jour, la chaleur est effroyable. André Subra le jeune chasseur d’isards engagé sur place pour servir de porteur, avoue ne pas connaître le massif, franchise d’autant plus appréciée par Russell qu’il a maintes fois eu affaire à des matamores qui révélaient leur incompétence in situ. À défaut de carte, le trio se dirige au Nord-Ouest, d’instinct Russell se laisse guider par le rio Aigüeta de la Ball qui descend du val de Bagüeña, franchit plusieurs croupes intermédiaires et parvient à un promontoire sur la crête des Tres Chermanes d’où il distingue enfin sa cible.

Météo au beau fixe. Russell laisse Firmin victime d’une intoxication alimentaire entre les mains du jeune chasseur pour inspecter l’enceinte de ruines et de névés d’où émergent les trois Eriste. Lequel est le plus élevé ? Celui de gauche, lui semble-t-il. Il y grimpe pour s’apercevoir que celui situé au Nord-Est le domine de quelques mètres. Il est six heures du soir, la lumière décline, trop tard pour l’entreprendre. Déterminé à corriger le tir dès le lendemain, il rejoint ses compagnons et établit le campement auprès d’un lac à 2.300 m. « Quel temps, quelle nuit idéale ! Nous étions entourés de chaos de granit, où les rayons lunaires produisaient des effets fantastiques : car à mesure que la lumière remplaçait l’ombre sur la face ou aux angles des rochers, ils avaient tellement l’air de remuer qu’on pouvait y voir des ours, qui abondent dans cette gorge. Aussi, j’avais mon revolver chargé, à côté de mon sac, bien que jamais un ours ne m’ait touché, ni peut-être vu. »

Firmin rétabli, Russell et lui repartent aux aurores avec la ferme intention de ne faire qu’une bouchée du Gran Eriste Central (3.053 m). À la base du cône sommital, ils chaussent des espadrilles pour escalader l’échine déchiquetée Nord-Est. « Une crête épouvantable, moins large que notre corps, serpentant entre deux abîmes qu’on voyait ensemble du même coup d’œil, tant l’arête était mince. Heureusement, la roche est bonne. Excellent granit. » Mission accomplie, Russell savoure son triomphe après avoir repéré à l’Ouest une voie de descente moins scabreuse. « Enfin, je respirai et savourai le plaisir sans mélange de me trouver perché, par une journée magnifique, sur le point culminant d’une montagne inconnue dépassant 3.000 m. La vue, très analogue à celle du Posets, était nécessairement superbe. Au Nord et au Nord-Est, on voyait plus de neige que de terre ; mais au Sud quel contraste ! Là, tout était brûlé, stérilisé par les ardeurs d’un soleil dévorant. Jusqu’au port de Sahun, c'était une masse sauvage de montagnes sablonneuses et pierreuses, et comme rougies au feu. Au Nord, j’apercevais au moins cent kilomètres de pics hardis, gracieux, majestueux ou terribles, depuis le Grand Vignemale jusqu’aux Gourgs-Blancs. »

Un autre membre de la Pléiade, le Nantais Maurice Gourdon, qui en juillet 1879 prospectait sur un filon de grenat à proximité de l’ibon de Pardines, ne put résister au plaisir de gravir le sommet dominant du secteur, notre Bagüeňa, qu’il nomme Comacuna. Sur sa lancée, il s’adjugea le Tozal de Bocs (2.733 m), deux cimes situées entre les Eriste et le col de Sahun, de l’autre côté du barranco de Llisat qui le sépare du chaînon de Barbarisa.