Ascension de la Forqueta d'Eriste (3.010 m)

Accès routier  : De Ainsa, prendre la A138 qui mène vers la France et le tunnel de Bielsa. À Salinas de Sin, 20 kilomètres avant la frontière, prendre à droite la route qui s’enfonce dans la vallée de Chistau. Elle suit les méandres du rio Cinqueta (ou Zinqueta). Ignorer les directions Saravillo et Sin, passer le village de Plan puis, à la sortie, au niveau d’un virage en épingle à cheveux planté d’un panneau indiquant la direction de Chistau (terminus de la route), s’engager sur la piste en direction de Viados (itinéraire balisé). Chaussée en médiocre état sur 12 km à l’exception de quelques tronçons empierrés. Après le Campamento (camping) de Virgen Blanca, laisser à gauche la piste qui mène au refuge de Tabernès et prendre celle de droite qui mène à un promontoire qui domine les granges de Viados. Garer le véhicule sur l’aire de stationnement naturelle en bordure de la piste. Départ à 1.720 m, sous le refuge de Viados.

Dénivelée  : 1.350 m.

Horaire  : 8 à 9 h A & R.

Difficulté  : Ascension de caractère alpin en début de saison, comprenant le franchissement de névés difficilement contournables. Crampons, alpenstock ou piolet conseillés. Aux beaux jours, les randonneurs aguerris prendront plaisir à l’ascension de ce sommet pivot peu fréquenté, superbe et sauvage. La crête sommitale réclame une certaine vigilance, à la descente notamment. Balisage rouge et blanc jusqu'au col (sentier des 3 refuges des Posets).

Cartographie  : Carte de randonnées N°23 au 1 : 50.000e (Aneto-Posets) de Rando Éditions. Carte N°5 au 1 : 40.000e des Editions Pirineo nantie d'un livret explicatif (Bielsa Bal de Chistau).

Bibliographie : Franz Schrader : Pyrénées Courses et ascensions (Éditions Pyrémonde, 2011). Le Bondidier Louis : Un mois sous la tente (Éditions Monhélios, 2013). Jean Escudier : Une grande montagne : le Posets (Librairie Parisienne, 1982).

De Viados, on distingue parfaitement au Sud-Est le barranco de la Rivereta (ou Ribereta), formidable coup de cimeterre venu scinder le massif des Posets, majoritairement composé de schistes, du massif des Eriste, majoritairement composé de granits. La voie normale de la Forqueta d'Eriste ou de las Tourets, dont les deux cimes se découpent à contre-jour dès le départ, longe les méandres de ce barranco pratiquement jusqu’à sa source.

Poursuivre vers l’amont la piste qui longe les vieilles granges et se transforme en chemin muletier . Un panneau nous aiguille à travers la prairie à droite puis vers le torrent de la Zinqueta (ou Cinqueta) qu'on traverse sur un pont de rondins.

Sur l’autre versant, le cheminement demeure confus sur une centaine de mètres aussi faut-il bien se repérer en prévision du retour. On dépasse un second panonceau au milieu d’une clairière qui indique la direction du col de la Forqueta (ou d’Eriste) : 3h 30.

Le sentier, désormais parfaitement balisé, s’élève dans une prairie jonchée de colchiques (c'est la fin de l’été), en fond d’écran apparaissent les citadelles des Eriste, parées de collerettes neigeuses.

Le parcours se poursuit en sous-bois, avec des échappées belles sur le sombre barranco de la Rivereta, dont on épouse les méandres. Une source ferrugineuse sourd des rochers – ceux qui manquent de fer rempliront ici leur gourde.

On passe auprès d’un tronc d’arbre mort évoquant le crâne d’un éléphant (Hannibal n’est pourtant pas passé par là) avant de franchir le gué d’un ruisseau tributaire du barranco (2.090 m).

En amont, on chemine entre des arbres foudroyés qui dressent leurs membres décharnés vers le ciel en une vaine supplique. Les lacets montent sans répit pour les jarrets, on croise plusieurs cascades, derniers points d’eau dans un environnement où le végétal cède progressivement la place à la rocaille.

Après deux bonnes heures depuis Viados, nouveau poteau indicateur (2.270 m). Laisser à droite le sentier des lacs de Millars et de Lenès pour attaquer la rampe herbeuse qui grimpe Sud-Est. Le col n’est plus qu’à 1h 30.

Remarquer à droite le monumental rognon éclaté ressemblant à un Ossau en miniature, il masque encore la Forqueta. Sur l'autre versant, la crête des Espadas se dore au soleil : l’ample déferlement de vagues et de remous géologiques qui ornent ses flancs font regretter de ne pas disposer d’une machine à remonter le temps. Longue de plus de 2 kilomètres, son élévation n’est nulle part inférieure à 3.000 m et à voir ses remparts on la croirait inexpugnable.

À 2.500 m, on parvient à un ancien verrou glaciaire donnant accès à une vaste combe jonchée de décombres d’avalanches plus ou plus récentes. A droite, la punta Millars et les Eriste arborent une silhouette altière – mieux vaut les voir de loin que de près.

Coup d’œil dans le rétro, le regard plonge vers les vals de Chistau et d’Añes Cruzes. A l'Ouest, la Suelza attire immanquablement le regard. À sa droite, Ordissétou, Cauarère, Batoua et Lustou font de l’ombre à la sierra de Picaruela, et l’El Monto (2.478 m) a du mal à exister.

À l’arrière-plan, Robiñera (3.003 m) et Munia (3.133 m) se dévisagent en chiens de faïence. Qui sait pourtant si ce ne sont pas les résidus d’une formation géologique plus ancienne, d’une montagne unique, écroulée, qui flirtait avec les 8.000 m ?

Poursuivre à gauche dans l’axe du col. On navigue entre deux murailles en cours d'effondrement, cadre purement minéral où s'amoncellent des vestiges cyclopéens. Sisyphe ne manquerait pas de travail ici, à rouler les blocs à leur place initiale.

Du grand névé qui occupe jusqu’à la mi-juillet le fond du talweg ne subsiste en fin de saison qu’une langue neigeuse, aisément franchissable. Le col est désormais en vue. S’ensuit la remontée d’une peyrade (pour parler comme Ramond), où circule une bonne sente.

Col de la Forqueta (ou d’Eriste), un des plus élevés des Pyrénées avec ses 2.864 m. Il fut à tort confondu avec celui des Pavots (3.097 m), cher à Russell, qui doit son nom au fameux Papaver suaveolens qu’on y a trouvé, mais qui se trouve plus au Nord, entre le pic des Pavots et l’Espadas. Du col, on peut redescendre en 2 à 3 heures au refuge Angel Orus ou del Forcau, (2.095 m), bâtisse construite en 1981 et nantie d’une terrasse depuis 1999, où se posent les randonneurs effectuant l’ascension du Posets par la Canal Fonda.

De cette large selle marquée d’un vulgaire tas d'un cailloux, suivre au Sud une sente épisodiquement cairnée qui rejoint la crête dont on va suivre peu ou prou le fil durant une petite demi-heure, tantôt sur un versant tantôt sur l’autre. Son escalade plaira aux randonneurs habitués à ce type d’exercice. Jusqu’à la mi-parcours, le faîte est large, les prises excellentes. Sur de brefs tronçons, il est nécessaire de s’assurer des mains.

À la jonction avec le granit, suivre avec prudence la vire versant Sud-Est qui coupe plusieurs ravins rébarbatifs.

Parvenu à l'échancrure qui sépare les cimes jumelles de Las Tourets, remonter à droite parmi les blocs pour gagner aisément la cime la plus élevée. Revenir au col pour glaner la seconde (3.007 m).

La réputation de belvédère privilégié dont jouit la Forqueta n’est pas surfaite. Admirablement postée entre les Posets et les Eriste, elle ménage des perspectives incomparables sur le versant Sud du Llardana, et la muraille orientale de l’Espadas. Russell a vu juste, l’Espadas est une crête ponctuée de mamelons, non une succession de pics ; elle n’en impose pas moins et Le Bondidier, le premier qui s’y est risqué, ne s’est pas porté volontaire pour faire l’aller et retour.

En contrebas, le lac de Llardaneta (2.675 m) possède la particularité de se déverser en amont dans une mare où se perdent les eaux, l’aval étant barré par un tumulus morainique.

Juste à droite, les aiguilles acérées de Forcau, en état de délabrement avancé, parachèvent le décor. La plus haute, âprement conquise en 1914 par Henri et Roger Brulle, Motas d’Hestreux & Germain Castagné, culmine à 2.855 m. Ambiance garantie.

Au Nord-Est, par-delà l’arête des Tucas Alta et Baixa et le chaînon des Bardamina, la crête du Haut-Luchonnais, barrière naturelle entre la France et l’Espagne, étire son échine dentelée du Clarabide au Sauvegarde, et plus si jumelles haute définition.

À l’Est, se déploie une zone décharnée, semi-désertique, sur laquelle plane le Tuca des Corbets ou Grand pic de Perramo), sentinelle qui commande l’accès de la région lacustre et boisée de Perramo et Baticielles, elle-même bornée par les sierras oubliées de Chinebro et d’Ixeya. À l’arrière-plan, le monarque Aneto assiste impuissant à la fonte inexorable de son empire glaciaire. À l’écart, la structure identifiable entre toutes du Ballibierna (3.067 m), conquête du britannique Charles Packe en juillet 1865.

Au Sud-Est, la Tuca élancée de La Llantia (2.918 m), la Tuca de Sillerets et la sierra de Les Très Chermanes offrent des trouées surprenantes sur la vallée de Venasque et d’Eriste. Au Sud, une vaste enceinte où achèvent de se dégrader les vieilles molaires cariées des Eriste et de Bagueña, spectacle de désolation qui serait affligeant sans la présence du lac alto de Bagueñola, joyau bleu cyan enchâssé un écrin de granit fauve. Réchauffement climatique oblige, les anciens glaciers, encore conséquents à l’époque à la fin du XIXe siècle, se sont évaporés. Ne subsistent que des roches burinées par le soleil de l’Aragon, et qu’achève de laminer le gel hivernal. De ce côté-là, on ne respire pas la joie de vivre, on lorgne plutôt du côté de la Chute de la Maison Usher. Un silence intemporel plane sur ces lieux que la faune elle-même semble avoir déserté.

Retour : Même chemin. On aurait tort, revenu au col coté 2.500 m, de ne pas ascendre le rognon rocheux (2.600 m environ) qui domine ledit col, on y bénéficie d’une vue plongeante sur le lac confidentiel de Millars, découvert par Russell lors de sa campagne de 1875.

Au Nord-Nord-Est, le pyramidal Signal de Viados ne parvient pas à masquer le Gran Bachimala ou pic Schrader (3.174 m), on peut y suivre des yeux l’itinéraire de la voie normale.

Historique

Autrefois la Forqueta d’Eriste ("la fourchette"), était connue des rares colporteurs et contrebandiers français qui s’en servaient de repère sous le nom de Las Tourets. La première mention des Tourets que l’on connaisse dans la littérature pyrénéiste est celle de Russell en 1885, lors de son exploration de la région méridionale du massif (Lardanita et Perramo) accomplie sous la houlette de l’idéal du chasseur, Antonio Pueyo : « Au Sud-Ouest, écrit-il, parvenu en amont du barranco del Paso del Oso, apparaît un cylindre solitaire, une espèce de Babel qui dépasse certainement 3.000 m et se nomme Las Tourets. C'est la seule cime caractéristique sur la crête qui sépare le versant de Gistain de celui d’Eriste, et elle en occupe à peu près le milieu. »

Dix ans plus tard, en 1905, Louis Le Bondidier entreprend un trek à la Tonnellé, un mois sous la tente avec son épouse Margalide, Louis Camboué, trois guides et porteurs dont Jean-Marie Sansuc. De Luchon, il gagne le val d’Aran, s’invite au Comolo-Formo ou Comolo-Forno (3.033 m) et au Ballibierna, s’approprie le pic Feixant ou pic de la Tallada (2.955 m), ce dernier avec Camboué, Charles Carrère et Sansuc. Dans sa foulée, avec Camboué et Bernard Luquet, il rafle le pic Maudit (3.350 m) et le pic situé entre le Tempêtes et le Russell auquel il donne le nom de son épouse : Margalida (3.241 m).

Le 7 août, projetant de monter au Posets par Eriste, il se fourvoie dans le dédale de fortifications qui défendent le sommet, s’informe auprès d’un berger qui lui présente le pic de Perramo comme étant le Posets, ce dernier étant la Tusse d’Eriste ! Russell avait pourtant prévenu, les bergers locaux vivent dans l’ignorance de ce qui se trouve au-delà de la limite de leur pâturage (2.300 m), se moquent éperdument des pics, auxquels ils attribuent des noms de leur cru, sans rapport avec ceux mentionnés sur les cartes, elles-mêmes déficientes en bien des points. Malgré ces fâcheux contretemps, Le Bondidier, Margalide et Sansuc atteignent la cime du Llardana par le col de la Paoul et se lancent sans reprendre haleine dans un numéro de funambule improvisé sur une lame en dents de scie : la traversée de la revêche crête qui mène à l’Espadas (3.326 m) : « Les couches géologiques étant redressées verticalement, relate-t-il, la nature des terrains et des difficultés change à tout instant : roches friables, roches solides, passages à prises nombreuses, passages sans prises, il y a de tout pour les amateurs. Pour contourner un gendarme, il faut descendre sur de minces saillies tandis qu’en dessous une rimaye bâille démesurément. Plus loin, la crête s’effile comme l’arête d’un toit, il faut passer en équilibriste sur cette roche rougeâtre, lisse, sans rugosités, où le pied ne peut prendre contact solidement, avec un abîme de chaque côté. »

Le Bondidier se porte seul aux Eriste, embrochés l’un après l’autre puisqu’il ignore lequel demeure inviolé. C’est le plus septentrional, et en hommage à l’historiographe des Pyrénées, il le baptise séance tenante du nom de Béraldi. « Nul nom ne pouvait mieux convenir que celui d’un amateur de l’inconnu et du rare, de celui qui a exhumé tant de documents précieux sur les Pyrénées. » Fort de ce succès, il ne manque pas de dresser tourelle sur la Babel de Las Tourets, ultime grand sommet invaincu du massif – désormais étiqueté pic de la Forqueta.
Lors de cette extraordinaire expédition furent prises par Le Bondidier lui-même, fervent adepte de la photographie, nombre de photos mémorables dont seront tirées des cartes postale précieuses, certaines consultables sur Internet.